samedi 1 avril 2023

La Route des Estuaires Julie Wolkenstein Editions P.O.L

 

 Julie Wolkenstein est née en 1968, Juin 1968. Une année mouvementée mais elle ne peut vraiment pas s'en souvenir. Toute la panoplie de Julie Wolkenstein est dans La Route des Estuaires comme une malle éventrée d'où sortiraient les vêtements remisés, et l'idée qu'on en avait. La maison à Saint-Pair (qui a occupé mes vacances que j'étais allée passer à coté de Granville par hasard une année à Pâques alors que je venais de lire avec enthousiasme Adèle et moi (2013), il y a 10 ans donc); la route toujours; la nostalgie de quelques titres de chansons que de générations en générations on se passe pour danser sur la piste; le cinéma mais qu'est ce donc que le prolepse préparatoire? Analyse d'images d'une précision maniaque d'un flashforward de The walking dead pour les amoureux de cette série; Les écrivains préférés ou livres préférés (attention nuance) surgissent au détour d'une phrase puis le père, la mère, le demi-grand frère. Vous avez l'ossature. Et l'histoire? Ce livre raconte ce qui ne s'est pas passé dans sa vie, ce qui lui est passé au-dessus ou peut-être en travers, laissant des traces d'incertitudes, une curiosité morbide pour ce qui est un souvenir enfoui, bien enfoui. Mais pourquoi j'ai oublié? pourquoi je ne sais rien?  la tristesse devait être insondable à la mort accidentelle de ce petit frère âgé de deux mois. C'est surtout la route du chagrin de ses parents qu'elle cherche comme si l'envie de consolation était toujours là. L'énergie que les enfants mettent à consoler est immense, ils ne veulent pas raviver le chagrin, ils effacent en actes, sautent, jouent, courent, sont peut-être même un peu casse-cou pour qu'on n'oublie pas qu'ils sont en vie. Et le silence des parents est celui qui protège, une armure de tendresse. Il y a des évènements que l'on connait mais dont on n'a pas la mémoire. A l'inverse, dans nos têtes nous avons des prolepses, des choses que l'on croit avoir déjà vues, inquiétantes d'étrangeté.

 La structure est complexe, on ne voit pas bien où mène cette autoroute, on remonte le temps doucement, les fêtes du 14 Juillet à Houdan mémorables refont surface grâce à la magie du caméscope d'Hervé mort depuis (seuls les morts auront leurs vrais prénoms). Quelques années jusqu'aux trente ans qui marquent la fin de l'insouciance et le début peut-être de ce qu'on perd, une forme de jeunesse, des amis que décidément on ne verra plus

Il y a dans l'écriture de Julie Wolkenstein, une légèreté, une nostalgie vibrante à laquelle on est sensible ou pas; Ce n'est pas son livre le mieux construit, le plus soigné mais les liens qu'elle tisse entre hier et aujourd'hui sont profonds, solides, ancrés dans un passé qui soudain devient le notre, fait écho à une route que l'on a prise aussi, sans être le fils ou la fille de, mais voilà elle dit l'histoire d'une famille et l'on pourrait écrire que les familles malheureuses le sont toutes à leur façon mais qu'il n'y a pas de bonne manière de l'être moins.

L'amour de la littérature pointe en tête de chapitres (James, Fitzgerald avec l'admiration pour Alex Beaupain cité plusieurs fois comme Lise Charles)

On ne résistera pas alors à mettre les paroles de la chanson d'Alex Beaupain, comme fredonnée tout au long de la Route des Estuaires :

Je suis ma mère qui dit et mon père qui se tait 

Je suis ce qui grandit, trop vite et puis après

Je suis celui d'avant qu'on regrette

Je ne suis déjà plus un enfant, un berceau, puis un lit

Passé le temps des couches, ces heures que rien n'arrête

Un pouce dans la bouche, bientôt une cigarette 

Je suis ma soeur qui pleure

Parce qu'à 12 ans je dis que je voudrais qu'elle meure

Je suis mes saloperies 

Je suis des autoroutes qui sillonent la France

En octobre et en août, un automne en vacances

Je suis la mer immense, les forces de l'esprit

Je suis des gens qui dansent aux 20 ans d'un ami

Je suis tout ceux que j'aime, longtemps et plus du tout

Je suis resté le même pourquoi pas eux du coup

Je suis combien de croix , je suis combien de tombes

Avant que je ne ploie, je suis la neige qui tombe

Le bruit de mes chaussures dans le blanc de décembre

Et mes éclaboussures dans le noir de mes chambres

Je suis un corps qui tremble sous tes caresses

Je suis pas grand-chose, il me semble que je suis aujourd'hui

Hier et puis demain je suis la vie qui passe

Déjà je suis en train et des photos de classe

Je suis un dernier souffle, je suis un premier cri

Un vieil homme en pantoufles, un bébé en body

Je suis tout résumé, le meilleur et le pire

Quand tout est consumé, je suis un souvenir

Je suis un dernier souffle, je suis un premier cri

Un vieil homme en pantoufles, un bébé en body

Je suis tout résumé, le meilleur et le pire

 

Quand tout est consumé, je suis un souvenir

Quand tout est consumé, je suis un souvenir

Quand tout est consumé, je suis un souvenir

 

Je suis un souvenir

 

Je suis un souvenir 


Je suis un souvenir


Je suis un souvenir

 


 

mardi 16 novembre 2021

Des kilomètres à la ronde de Vinca Van Eecke aux éditions du Seuil

 

                                                                                                                          

  



 Ce Premier roman publié en Septembre 2020 par Vinca Van Eecke, est un retour aux sources d'une adolescence brûlante, à rebours du milieu familial "qui ne voyait pas d'un bon œil le zèle que je mettais à talonner des garçons dont ils ne fréquentaient pas les parents." Vinca Van Eecke construit un  mémorial à une étrange période qui sent le roussi, marquée au fer rouge dans sa chair. C'était un présent de corps enflammés, de vie pure sans sablier, d'instants de grâce. Elle a quatorze ans. C'est à la fête foraine qu'elle va rencontrer la bande, que va se sceller un pacte d'amitié et d'amour. La narratrice est  subjuguée par une planète à des kilomètres de son monde, parfumée aux canettes de bières, aux odeurs de moteurs de mobylettes. Ils seront comme des aimants puissants vers lesquels elle reviendra, impatiente, à chaque vacances puis les week-end. Amour pour Jimmy,  groupe soudé fermé dans un temps suspendu. L'ennui pourtant s'invite dans le village de L... son monument aux morts, sa mairie, son foirail...  Les corps adolescents y gravitent encerclés dans les murs de leur présent avant de faire de petits arrangements avec la vie à défaut d'un avenir tout tracé comme celui de la narratrice. Pourtant "Les postures je m'en foutistes devaient bien dissimuler autre chose, ils étaient faits d'une viande qui promet, ils seraient héroîques, ils seraient tragiques ou pathétiques, je n'en savais rien mais ils étaient romanesques."p 40.  On observe ces flambeurs, on les voit s'acharner à rester en dehors, à ne pas rentrer dans la danse, quitte à en mourir. Cette exceptionnelle liberté de l'adolescence, quand on a l'impression de décider de nos vies, quand les désirs sont puissants, elle explose là, dans les mots sensuels, la bande son, la vitesse de l'écriture de Vinca Van Eecke avant que la fureur s’étouffe comme un feu mal alimenté. Que leur était-il permis d'espérer? Tout la finesse du livre tient dans la faille qui se creuse progressivement, d'un discours politique que soudain on prend au sérieux, à la mort brutale de l'un d'entre eux, les contradictions ne peuvent plus tenir, on ne joue plus. Dans les derniers chapitres, le regard s'affute sur ces gars de L..., on sort du jeu romantique de l'adolescence pour regarder en face la vulnérabilité, l'avenir des relégués, des disqualifiés d'avance que fabriquent la France périphérique mais aussi les banlieues."La bourge" comme ils l'appellent gentiment sort de la posture égocentrée et regarde le gachis : " A trois cents kilomètres de là, l'horizon n'est pas bouché par le diagramme des tours mais le même silence couve des meurtrissures semblables. Relégué, disqualifié avant d'avoir eu le temps d'apprendre les règles du jeu, on fait cracher les baffles et on entonne le même rap." p 197. La route ne reste pas ouverte pour tout le monde.

Vinca Van Eecke écrit l'adolescence comme elle la sent, elle nous donne à voir et fixe sur nos rétines nos propres excès adolescents. Il y a de belles scènes inoubliables, beaucoup de nostalgie parce qu'au fond c'est l'ordre qui gagne et le train qui embarque laisse peu de place aux regrets. Soutenue par des souvenirs musicaux qui parleront aux oreilles des adolescents des années 80, le réalisme voire la crudité alternent avec un langage poétique. D'un rythme éffréné au début du livre on passe à une écriture plus introspective, à un rythme régulé par les actes du quotidien répétés, inscrits dans un ordre social  qui a repris le dessus. En route l'heroine perd beaucoup, jusqu'à ne plus comprendre ce qui avait soudé ces vies. Pourtant, elle avancera avec derrière elle des gens qui sont restés, inaccessibles mais intacts dans sa chair, victimes du déterminisme social.

mardi 23 mars 2021

Le Neveu d'Anchise de Maryline Desbiolles aux éditions du Seuil



 

On a envie de regarder le beau visage de Chet Baker, d’aller trainer dans l’arrière pays niçois, peut-être même de courir à perdre haleine, d’avoir les jambes de Jesse Owens, d’être fils de, de renouer les fils de l’histoire, d’être homme, femme, enfant, de ne pas être assigné, d’être un roman.

C'était en 1999, Anchise était prix Fémina. A la rentrée de Janvier 2020, dans la famille Anchise, je demande le neveu...  Anchise toujours hante la maison, la mémoire presque comme une obsession, comme une "cinglerie". C’est aussi cette route, rue, chemin. Marilyne Desbiolles y revient comme si elle avait habité là toujours: la source maintenant cachée par la dalle de béton, les maisons et puis plus loin la cité de l’Ariane. Donc des gens, des paysages, de la rage aussi qui surprend tant elle est contenue souvent sous un soleil éclatant, les pierres et la végétation. Rien de paisible ici, ce serait se tromper de registre. Aubin, le jeune héros, vit avec sa famille et, sur le même terrain, la maison de sa tante propriétaire d’un chien Tyson, bête noire à dompter. Du prénom à la corpulence, Aubin et son corps, il court à perdre haleine, sans savoir de qui il est le nom, trop grand, trop maigre pour se contenir tout entier, pour être de la famille. Il trouve une trompette, rencontre Adel et ce sera l’amour comme feu par lequel s’immola Anchise « qui a brûlé d’amour à la lettre » ou piqure d’abeille qu’Anchise « extrayait négligemment de ses poches ». Le paysage est bouleversé par la construction de la déchetterie dont Adel est le gardien. Dessous est effacée la maison d’Anchise : « Nous ne sommes plus au temps des restes mais au temps des déchets ». Et puis la trompette vaudra bien la peine d’être jouée, de faire saigner les lèvres parce qu’il y a Chet Baker, sa musique et son histoire dramatique. L’art n’est jamais loin comme un havre. Maryline Desbiolles rend hommage  dans ses livres à des artistes, mais aussi à des figures simples effacées par les guerres, des migrants silencieux soudain éclairés au bord de la route par le gyrophare bleu d’une voiture de police. Un magnifique livre, un long poème vif, brûlant, une filiation indéniable avec Anchise, fille d'Anchise par l'écriture, c'est du Maryline Desbiolles.