dimanche 8 avril 2012

L'état des sentiments à l'âge adulte de Noémi Lefèbvre aux éditions verticales

Scène de ménage, elle part, c'est simple. Il était chef de vente et quand il avait du boulot, il savait que c'était un boulot de merde...Maintenant il en redemande, il est motivé Jean-Luc pour sortir de sa condition de chômeur tandis qu'elle pense "nouvelle vision" et que les sentiments auxquels elle s'accroche sont ceux d'une vie d'avant. "Pourquoi le temps qui a passé laisse dans le présent les sentiments d'avant, j'en sais rien. En regardant ma nouvelle vision je me disais la vie déconne, elle devrait effacer ce qu'elle permet plus au lieu de laisser traîner les intensités d'un temps perdu qui serait toujours là. Pourquoi le sentiment insiste et continue à se souvenir de lui-même et s'enrouler en spirales infinies alors que c'est plus comme avant, plus aucune circonstance, plus rien qui reste des futurs possibles puisque c'est déjà  passé,  les futurs?" p21
Jean-Luc c'est un stéréotype à l'état brut  un laminoir extraordinaire. Sortir du piège, retrouver sa liberté, être le soi qu'on est mais pas le personnage qu'on se fait ou que la société nous construit: " Tout de même, je me disais que j'étais quelqu'un comme n'importe qui d'estimable, je voulais m'estimer". La crise. C'est dans le travail social que l’héroïne du livre, quelque part à une distance raisonnée du cul des vieux reprend pied dans le monde. Diplômée de sciences sociales, bac plus cinq, l'entretien d'embauche est une scène d'anthologie. Son vieux s'appelle Victor Hugo et avec Mariama,  elles se partagent les heures à ses côtés. A 93 ans, il faut se détacher et s'attaquer aux dernières volontés. Jamais mièvre, Noémi Lefèbvre crée des chocs, dans un style rugueux et des phrases tellement longues que parfois on cherche de l'air noyé de mots. C'est captivant et merveilleusement libérateur.
"Le type devant sa page avec ça comme phrase, la joie pluvieuse te revient qui serait la seule chose à dire, ça m'a fait penser aux dernières volontés. Pour la seule chose à dire et les dernières volontés il faut bien avoir une idée de ce qui compte, ce qui compte on ne le sait pas avant d'avoir cessé de vouloir compter et pouvoir compter, quand on veut plus compter et qu'on peut plus compter comme vouloir courir et pouvoir courir. Je me disais, cette volonté de compter doit empêcher de voir ce qui compte, on se fait croire à ses croyances et on s'explique par ses explications et on se rassure dans son assurance et tout ça pour compter, on se persuade d'être persuadé pour compter, je me disais."
Rien de tel qu'un Victor Hugo pour se délester d'une vie. De chapitre en chapitre, Noémi Lefèbvre parcourt les chemins mystérieux de l'amour, de la mémoire alternant les monologues, les échanges avec son vieux, l'observation respectueuse de Mariama. Ce texte où l'humour tient toujours le désespoir à distance est très maîtrisé, vraiment à découvrir en cette période correctement électorale, un souffle  libre et humain, comme une charge d'éléphant.




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