lundi 11 février 2013

Une fille, qui danse de Julian Barnes traduit de l'Anglais par Jean-Pierre Aoustin aux éditions Mercure de France

The sense of an ending est le titre anglais. Bien plus approprié que le titre français dont la phrase fait référence à une anecdote du livre dont les conséquences n'ont rien d'essentiel. Lorsque l'on sait après avoir lu l'article du Monde du 18 Janvier que Julian Barnes s'est toujours inquiété de la mort depuis l'âge de treize ans, il y a un sens fort dans la version anglaise.
Alex, Tony, Colin, Adrian quatre amis, indubitablement fiers de découvrir toute l'étendue de leurs capacités intellectuelles se questionnant sur le fait historique et ponctuant leurs débats de "philosophiquement évident", piaffent avant d'entrer dans la "vraie" vie. Leur énergie sexuelle est quelque peu frustrée par les contraintes de l'époque. Tony, la soixantaine aujourd’hui, rassemble ses souvenirs, tentant de retrouver intactes les émotions de sa relation avec Véronica l'ex petite-amie de ces années-là. Était il vraiment amoureux? Quels étaient les véritables enjeux de cette rupture? Il garde telles des effluves, des impressions cristallisées en certitudes dans des petits arrangements avec lui-même. Lorsque la mère de Véronica lui lègue dans son testament une petite somme d'argent et deux documents, un "devoir de mémoire" s'impose. Où s'achèvent les regrets, où commencent les remords? A qui demander pardon, sommes-nous individuellement responsables? Quand on explore les imbroglios de l'histoire individuelle, les causes et les effets deviennent quasi inextricables à l'échelle de l'humanité. Peut-être manquons-nous totalement d'imagination les uns vis à vis des autres, effleurant au passage nos congénères envahis par nos peurs, incapables à jamais de risquer la vraie question, celle qui révèle l'indicible solitude. Julian Barnes joue merveilleusement sa partition narrative, accrochant le lecteur à une histoire qui rebondit jusqu'aux derniers mots tout en stimulant un questionnement profond sur la mémoire.
p126 "Combien de fois, racontons-nous notre propre histoire? Combien de fois ajustons-nous, embellissons-nous, coupons-nous en douce ici ou là? Et plus on avance en âge, plus rares sont ceux qui peuvent contester notre version, nous rappeler que cette vie n'est pas notre vie, mais seulement l'histoire que nous avons raconté au sujet de notre vie. Racontée aux autres, mais - surtout - à nous-mêmes?"
Un vrai roman qu'on ne lâche pas et qui inscrit Barnes dans la lignée d'un Jonathan Coe. Il témoigne que le roman anglais n'est pas mort, une spécificité d'outre-manche qu'on ne voudrait pas voir cesser tant le plaisir de lecture est immense.

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