samedi 17 août 2013

Shâb ou la nuit de Cécile Ladjali aux éditions Actes Sud

"Je cultivais d'ordinaire beaucoup de mépris pour l'autofiction qui d'après moi ne donnait que des textes complaisants sans profondeur à moins qu'ils ne soient signés Rousseau ou saint Augustin. Je pensais à la bonne phrase de Nina Berberova : une autobiographie est une entreprise égocentrique. Mais l'écriture de Shâb fut exigée par un commandement interne, que je ne m'expliquais pas. Ce que je me disais très clairement, en revanche, c'était que les auteurs avaient le loisir, le luxe inouï, de pouvoir dire ce que les autres ne parviendraient jamais à formuler. Ce livre, je voulus l'écrire aussi pour ceux qui n'avaient pas les mots. La Nuit, ma mère, et le Silence, mon père, m'avaient donné - à leur insu - l'écriture en héritage."
Dans Shâb ou la nuit, il y a une petite fille que des parents vont adopter "dans une grande maison en Suisse". C'est Julie et Robert qui deviennent parents et Roshan qui devient Cécile. L'histoire de l'enfant se tisse alors dans ses origines iraniennes mais aussi avec de "pieux mensonges", comme sera intitulé un chapitre, des non-dits et des peurs qui un jour seront des vérités abruptes à franchir. Cécile Ladjali raconte avec sensibilité et rage, un parcours qui la rend aujourd'hui auteur de ce beau roman. Une enfance où l'éducation protégée n'empêche pas le sordide avec un oncle tripoteur, l'irrémédiable avec les maladies des parents mais au bout du chemin quelqu'un vivra, une femme qui s'est élevée jusqu'au bout des contradictions. Au delà d'une histoire personnelle, il y a des passages très réussis d'intimité familiale, de bizarreries de gamine et des révoltes à s'approprier. A la fois cynique et lucide, elle raconte la trajectoire qui fait n'importe qui fille de... Il fallait aussi savoir parler avec audace et sans complaisance de la mort de ses parents. Elle a les bons mots, de la violence et de l'humilité. Ce serait dommage de passer à côté de ce que Cécile Ladjali écrit avec insolence et liberté parce qu'aujourd'hui orpheline, elle ne trahit qu'elle même. Elle est professeur de français et témoigne d'une belle vocation malgré les mots qui lui ont manqué
parfois. Mais peut-être vaut-il mieux les maitriser et faire sens, le bon pour ne pas perdre la raison?

"A aucun moment je ne justifiai ma passion pour la littérature ou ne bradai mes convictions devant mes classes. Mon autorité, je la tenais des auteurs et les consciences en formation qui m'étaient confiées me suivaient dans les méandres de mes propres recherches. Car si les élèves avançaient dans la forêt des mots, je marchais moi aussi sur un chemin assez semblable au leur. Car les mots me construisaient un peu plus chaque jour, ceux que je lisais en privé ou devant ma classe et surtout ceux que je commençais à écrire sur l'Iran en cachette." p140

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