Après un début difficile, je reste sur un véritable bonheur d'avoir lu ce livre.
Quand
Georges, un Français, rencontre Florence, ils sont à Mexico sur la
pyramide de la lune. Il est ingénieur et a adopté Nino, un petit gamin
turbulent "comme soucieux de faire comprendre à chacun qu'il n'est
l'enfant de personne". Elle, est architecte et américaine. On est en
1945.
Quand Joshua Hopper, ingénieur hydraulique est chargé de
sonder les abîmes du chantier Bernache, on est en 1989. Il ne reste de
l'histoire qu'un mince dossier qui fait état d'un vieux contrat de la
société Pullman "pionnière dans la fabrication des trains" rachetée par
la Bombardier et deux noms : Georges Bernache et Florence Evans. Des six
mille hommes, des journaliers passés sur le chantier, aucune trace sauf
celle de Gris Bandejo.
Cloé Korman construit son livre comme un
puzzle que Josh rassemble s'égarant parfois sur de fausses pistes. Les
langues sont multiples, les pièces trompeuses. 0n voit se dessiner une
histoire d'amour magnifique. Celle du couple Bernache relève du
fabuleux. Elle sait décrire la position toujours funambulesque de ces
expatriés dans un milieu hostile. Elle rassemble la magie du Mexique et
son trésor culturel aztèque, des pratiques religieuses baroques et des
rituels de carnaval masques du désespoir. Pendant que les enfants
Bernache jouent dans le grand jardin paradisiaque, on sent la main qui
va les en chasser. Quand la dernière page est tournée, il reste une
histoire fantastique dans laquelle courent des hommes-couleurs
terriblement vivants que l'écriture multiforme et poétique de Cloé
Korman magnifie.
"C'est ici le cimetière des migrants. Je l'ai
improvisé, au début il n'y avait qu'une seule tombe, puis deux. Cette
année, quatre cent mille hommes ont passé le frontières. Mais certains
échouent là.
Ce cimetière, il renferme ceux qui n'existaient
pas. Avez-vous remarqué que le désert fait perdre le sentiment de sa
propre vie ? C'est à cause de la pierre sans végétation on ne sait plus
si on a les pieds bien posés quelque part. Il en faut rien qu'un peu.
Lierre ou vigne même si elle est aigre. En fait, il y a des plantes ici.
J'observe beaucoup de choses et croyez-moi. Même un cactus. Une
moisissure sur un caillou. Je vois des gens de toutes sortes.
Il
y a des êtres qui résistent qui restent convaincus de la valeur de leur
vie même quand l'air se déssèche autour d'eux. Même si la terre entière
se changeait en pierre, ils continueraient de se savoir humain, et
seront sauvés."
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