dimanche 9 novembre 2014

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud aux éditions Actes Sud




Avec le titre du livre de Kamel Daoud, on aurait pu s'attendre à une relecture de Camus mais il ne s'agit pas de ça, plutôt d'un exercice d'admiration. Si ma libraire a vendu beaucoup l'Etranger depuis la sortie de Meursault, contre-enquête c'est parce qu'il lui fait la part belle et qu'on veut s'y rafraichir la mémoire. Un bel hommage à l'écriture de Camus et  pourtant jamais, le nom de Camus n'est prononcé. Pour Kamel Daoud l'homme qui a écrit l'Etranger est le meurtrier et lui le frère de l'Arabe. Il s'insurge :"Dans le livre, pas un mot à son sujet. C'est un déni de violence choquante, tu ne trouves pas? Dès que la balle est tirée, le meurtrier se détourne et se dirige vers un mystère qu'il estime plus digne d'intérêt." Kamel Daoud reprend le récit par l'angle mort.
 Kamel Daoud va nous tendre un miroir comme un piège. Qui est l'Arabe? "Qui est le mort? Qui était-il? Je veux que tu notes le nom de mon frère, car c'est celui qui a été tué en premier et que l'on tue encore." Il ne suffira pas de lui donner un nom, de renouer les fils de l'histoire. Il faudra remettre dans le contexte tout un peuple et tuer aussi à la veille de l'indépendance Joseph qui aimait les bains de mer. L'écrivain raconte l'enfance et l'abandon à un mystérieux interlocuteur, entouré de spectres, devant son verre. Amer, il déballe le fil de ses pensées désenchantées : "Le monde entier assiste éternellement au même meurtre en plein soleil, personne n'a rien vu et personne ne nous a vus nous éloigner." Dans une écriture au désespoir sensible, Kamel Daoud renvoie les images, nous défiant de retrouver qui est qui, échangeant les costumes et les regards."Je réalise à quel point nous étions lui et moi, les compagnons d'une même cellule dans un huis-clos où les corps ne sont que costumes."
A quarante-cinq ans, Kamel Daoud fait une belle entrée sur la scène littéraire. Connu pour ses chroniques dans le "Quotidien d'Oran" et son engagement politique, il rejoint Camus sur l'absurde, s'affirme contre des pratiques religieuses rétrogrades et aliénantes. Sensuelle et vivante, la langue qu'il écrit est poétique et sensible, porte un message poignant sur un pays qui cherche l'issue d'une histoire lourde.
p49 "La nuit vient de faire tourner la tête du ciel vers l'infini. C'est le dos de Dieu que tu regardes quand il n'y a plus de soleil pour t'aveugler. Silence. Je déteste ce mot, on y entend le vacarme et ses définitions multiples. Un souffle rauque traverse ma mémoire chaque fois que le monde se tait. Tu veux un autre verre ou tu veux partir? Décide. Bois tant qu'il est en est encore tant. Dans quelques années, cela sera le silence et l'eau. Tiens, revoilà le fantôme de la bouteille. C'est un homme que je croise souvent ici, il est jeune, a la quarantaine peut-être, l'air intelligent mais en rupture avec les certitudes de son époque. Oui, il vient presque toutes les nuits, comme moi. Moi, je tiens un bout du bar, et lui l'autre bout en quelque sorte, côté fenêtres. Ne te retourne pas, non, sinon il va disparaître."

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