mercredi 27 avril 2016

Disent-ils de Rachel Cusk traduit de l'anglais par Celine Leroy aux éditions de l'Olivier

Ce titre en français Disent-ils est loin de la subtilité du mot Outline en anglais, contours, silhouette dit le dictionnaire. Un peu réducteur et immobile alors que le livre est un mouvement vers une ombre qui se dessine progressivement au gré des histoires qu'un narrateur absorbe et renvoie comme un écho sur une montagne. Il y a une femme qui prend l'avion à Heathrow pour se rendre à Athènes y animer un atelier d'écriture. Elle va ailleurs, elle est ailleurs lorsqu'elle écoute le milliardaire et ses mirobolants projets avant d'embarquer. Sitôt assise, elle poursuit presque la même conversation avec un personnage à côté d'elle, ce pourrait être le même mais c'est son voisin. On apprend la rupture, la vente de la maison. En négatif, la parole de l'autre révèle celle qui est dans l'ombre, indistincte. Il y a quand elle écoute les consignes de sécurité puis le décollage, toutes les images de ce que représente la perte, l'incrédulité de celui qui la subit : "L'avion se mit en branle, avança bruyamment si bien que le paysage sembla de même se mettre en mouvement devant le hublot, d'abord lentement puis de plus en plus vite jusqu'à cette sensation d'élévation hésitante et pénible à l'instant où les roues s'arrachent du sol. Le temps d'une fraction de seconde, l'opération parut impossible. Mais elle eut bien lieu." p 9
Cette personne ne se définit pas parce qu'elle est en transit, en changement de lieu, d'identité dans un pays en mutation, la Grèce, en pleine rupture aussi et qui perd même sa langue. La narration ne s'enlise pas dans l'informe. Elle est dynamisé en permanence par les rencontres, le voisin d'avion, le collègue de l'atelier, les élèves à qui elle demande des histoires, les amis retrouvés, la féministe. Chaque récit est une sorte de parabole qui illustre ce qu'est le couple, les rapports homme femme entre illusion et réalité mais aussi la création littéraire et ce qu'elle offre de visibilité, d'horizons possibles de la même fiction, la possibilité de passer de l'autre côté du miroir.  Elle interroge sur ce qui nous définit, c'est d'une lucidité rare et d'une finesse renversante avec cette perspective finale qui ferme le cercle et donne la clef de ce magnifique récit, pudique et intelligent.
 "Quoi qu'il en soit sa femme et lui avaient bâti des choses qui avaient prospéré, avaient fait fructifier ensemble la somme de ce qu'ils étaient et ce ce qu'ils avaient ; la vie avait répondu avec enthousiasme,  les avait traité avec prodigalité et ceci - il le voyait à présent - lui avait donné assez de confiance pour tout briser, tout briser avec ce qui lui semblait aujourd'hui une désinvolture extraordinaire parce qu'il avait cru qu'il y en aurait toujours plus. 
  Toujours plus de quoi? demandai-je. 
 "Plus... de vie, dit-il en montrant les paumes dans un geste d'acceptation. Et plus d'affection, ajouta-t-il après un silence. Je voulais plus d'affection."p18


Aucun commentaire: