samedi 23 avril 2016

Outre-Terre de Jean-Paul Kauffmann aux éditions DesEquateurs


Malgré la charge des cuirassiers choisie pour la couverture et les tons de neige sale sous un ciel plombé, Outre-Terre est un livre lumineux pour un Jean-Paul Kauffmann simplement de plus en plus vivant. Pour ceux qui étaient trop jeunes en 85-88 pour connaitre son nom, je rappelle qu'il a été otage au Liban pendant trois ans, enlevé alors qu'il était grand reporter.  On ne peut dissocier l'homme de son histoire qu'il évoque à mots couverts avec ce regard à la fois détaché, sans illusions mais aussi profondément passionné par les traces, les empreintes, les vides, comme s'il fallait redonner une continuité aux évènements, retrouver le fil d'une histoire interrompue. Il a "un faible, une complaisance pour les lieux qui n'entretiennent aucune illusion" p14. On trouve dans sa bibliographie  L'Arche des Kerguelen : voyage aux îles de la Désolation et La chambre noire de Longwood : le voyage à Sainte-Hélène, lieux on ne peut plus touristiques qui nous mènent presque logiquement sur cette Outre-Terre à Kaliningrad avant-poste russe en occident. C'est la proposition lancée dix ans auparavant lors d'un repas du dimanche soir qui va lancer la famille Kauffmann sur le champ de bataille d'Eylau lors des commémorations du bicentenaire (1807-2007). Il ne s'agit pas de n'importe quelle bataille, il y a d'abord un tableau; celui de Gros qui figure en reproduction au centre du livre et que l'on peut voir au Louvre grandeur nature, vous ne le regarderez plus jamais de la même façon... Cette bataille, on  s'accorde à dire que ce n'est pas franchement une victoire mais plutôt une boucherie pour laquelle le terme "chair à canon" né sous la plume de Chateaubriand va comme un gant . Et puis, il y avait Napoléon qui semble-t-il a eu chaud, façon de parler par moins quinze. Le petit groupe équipé d'un magnifique véhicule jaune  "Gazelle" accompagné d'une traductrice aux séducteurs talons aiguilles va sillonner le terrain et rencontrer divers personnages hauts en couleur afin d'approcher au plus près ce qui s'est réellement passé lors de cette fameuse bataille.Transiger, il va falloir avec les russes, Jean-Paul va-t-il pouvoir monter dans le clocher qui domine la plaine venteuse et enneigée afin d'avoir la vision qu'il espère? La charge des cuirassiers à Eylau le 8 Février 1807, menée par Murat, hante les brumes de ce lieu intact, la plus grande charge de cavalerie de l'Histoire des batailles napoléonienne où 10000 soldats auraient laissés leur peau dont le fameux colonel Chabert revenu d'entre les morts. "Tous ces morts hissés sur les chariots, cachés par Napoléon et sa suite qui prennent toute la place, racontent le deuil, les guerriers sans funérailles, les anonymes condamnés à une errance perpétuelle" dans le tableau d'Antoine-Jean Gros mais aussi dans la vie, ces champs de bataille intérieurs qui rendent la quête de Jean-Paul Kauffmann très universelle. Transiger, c'est le mot maître, une clef de ce qui unit le Colonel Chabert et l'auteur :"Lorsqu'il revient, il n'arrive pas à reprendre sa place. C'est ce que j'ai ressenti à mon retour. Rappelle-toi, au début. Chabert ne veut pas transiger. Il est persuadé que la vie va reprendre comme avant, mais c'est impossible". Jean-Paul Kauffmann rend hommage à sa famille dans ce voyage des fins fonds où ils l'accompagnent, le sortent de ses marottes comme des bons génies et quand il écrit : "le vivre ensemble familial est un débordement où les mauvaises manières dissimulent
une dépendance affective à toute épreuve", il y a là une confidence essentielle, une vérité qui couvre le bruit et la fureur, "la brutalisation de l'individu" qui préfigure à Eylau selon le concept élaboré par  Gérard L Mosse.

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